Catherine DUMAS est Présidente d’honneur des Lumières de Paris, Sénatrice de Paris et Conseillère de Paris du 17e arrondissement - récemment réélue. Elle se mobilise de longue date pour défendre la place de Paris, promouvoir l’image de la France dans le monde et valoriser le patrimoine national dans les domaines de la gastronomie, des métiers d’art et des savoir-faire traditionnels.
Vous êtes vice-présidente de la commission de la culture au Sénat. Les métiers des différents secteurs de la culture sont tout particulièrement impactés par la crise sanitaire. Quelles initiatives avez-vous déjà prises, et comptez-vous encore prendre, pour aider ces professionnels à sauvegarder et reprendre leur activité ?
Pendant toute la période du confinement je suis restée en contact avec les professionnels de la culture. Paris reste une place prépondérante pour la dynamique culturelle dans le reste du pays. L’objectif premier était donc de montrer aux producteurs, acteurs, patrons de salle, qu’ils n’étaient pas seuls face à la déflagration que constituaient, pour eux aussi, la crise sanitaire, la fermeture des salles, l’incertitude qui planait sur l’organisation des festivals cet été et les mesures de distanciation qui vont rendre compliqué, encore longtemps, l’équilibre économique de leurs projets.
J’ai notamment organisé avec ma collègue députée du 17e, Brigitte KUSTER, une visioconférence avec des producteurs et patrons de salles parisiennes, nous avons également eu des contacts avec les gestionnaires des caisses spécifiques à la protection des acteurs et techniciens du spectacle. La médiation parlementaire qui a pu s’opérer, notamment lors de la discussion des projets de loi de finances rectificatives (nous allons entamer la 3ème en 5 mois et une 4ème est déjà annoncée pour début septembre) aura permis de rassurer les intermittents du spectacle concernant la prise en compte de l’effet Covid sur leur maintien ou ouverture de droits lorsqu’ils n’ont plus d’activité. Parallèlement, il a fallu veiller à ce que les mesures de chômage partiel ainsi que les aides financières prévues pour les entreprises, petites et grandes, soient bien accessibles aux patrons de salles et producteurs de spectacles.
Aujourd’hui, le déconfinement est engagé, il semble se dérouler positivement. Si cela se poursuit, il faudra envisager, en concertation avec les professionnels, de nouvelles étapes et de nouveaux projets pour aider la profession à retrouver une dynamique essentielle à leur survie. Il va falloir avoir de l’imagination, mais je suis confiante, ces professions n’en manquent pas !
En 2009, vous aviez remis au Premier ministre un rapport intitulé “Les métiers d’art, d’excellence et du luxe et les savoir-faire traditionnels : l’avenir entre nos mains” dans lequel vous formuliez 20 propositions pour une nouvelle dynamique en faveur des métiers d’art. Onze ans après et comme présidente du groupe d’études sur les métiers d’art, quel bilan dressez-vous de leur mise en oeuvre et quelles propositions méritent toujours d’être reprises ?
Lorsque j’ai remis ce rapport au Premier Ministre, il y a plus de dix ans, le premier impact positif a d’abord été une mise en lumière de ces professions fantastiques, ces métiers de passion, imbriqués dans l’histoire et la géographie de notre pays, mais que les Français connaissent assez mal, alors que c’est sur elles que reposent notamment une grande partie de l’industrie du luxe (joaillerie, haute couture,…) qui participe au rayonnement et au prestige de la France dans le monde.
Après 72 auditions et 22 déplacements, j’ai souhaité rendre un rapport positif, loin de l’image poussiéreuse de l’artisan âgé tourné vers le passé. Au contraire, j’ai rencontré des hommes et des femmes dynamiques et enthousiastes, plein de créativité et entièrement dévoués à leur entreprise. Il fallait organiser cette grande famille des métiers d’art français dont certains n’avaient pas conscience tant leurs statuts, qui vont de l’entreprise unipersonnelle à la multinationale du luxe, sont grands. C’est chose faite et beaucoup de ces métiers ont pu réaliser qu’ils partageaient des problématiques communes, notamment sur la formation de leurs collaborateurs et la transmission de leurs savoir-faire. Ils ont également pris conscience de la nécessité d’adapter leur mode de production et de commercialisation aux contraintes d’aujourd’hui. L’intégration des nouvelles technologies et du design et plus généralement la recherche d’une créativité constamment renouvelée sont les éléments de cette adaptation réussie pour beaucoup d’entre eux.
La diversité des métiers d’art français représente une force pour notre pays. C’est également une chance pour une partie de notre jeunesse et la réhabilitation d’une intelligence de la main que nous avons eu tendance à ne pas assez valoriser dans notre système éducatif. Des progrès sont notables depuis dix ans mais il reste encore beaucoup à faire.
Si je peux souligner une mesure proposée dans mon rapport et qui n’a pas été mise en place alors qu’elle me semble essentielle, c’est la création d’un département ministériel, chargé spécifiquement de la coordination des différentes politiques en faveur des métiers d’art et du luxe. Cela témoignerait d’un engagement de l’Etat en faveur de ces métiers. Elle répondrait par ailleurs à une attente forte des professionnels, souvent désorientés par la multiplicité des interlocuteurs et des guichets d’entrée.
Vous êtes Conseillère de Paris du 17e arrondissement, récemment réélue. Le contexte sanitaire de la campagne des élections municipales à Paris a largement éclipsé les enjeux culturels de la capitale. Quelles sont, à la place qui est la vôtre, vos ambitions pour Paris en matière culturelle et artistique ?
Que vous parliez culture, économie, circulation… Le problème de notre capitale est généralement toujours le même : Paris est une ville au ralenti !
Lorsque vous additionnez tous les atouts dont dispose notre ville en matière de notoriété internationale, de culture, de patrimoine, de romantisme … sans oublier les dimensions politique et économique auxquelles l’histoire de France a toujours associé Paris, notre ville devrait rivaliser avec les plus grandes mégalopoles du monde. Il n’en est rien ! Paris vit sur ses acquis mais nous perdons du terrain chaque jour ! C’est vrai dans la mode, la finance, les grands événements internationaux, les présentations mondiales, les festivals … Depuis une vingtaine d’années, Paris est en concurrence directe avec d’autres villes mondiales et se fait souvent "tailler des croupières".
Ça n’a pas l’air d’inquiéter la Maire de Paris et ses soutiens qui, généralement, en Conseil de Paris, se comparent à une ville française de province pour trouver une référence qui lui soit encore profitable. Il y a, vous l’avez compris, un vrai problème d’ambition pour que Paris s’adapte à la compétition mondiale. A moins que notre ville ait pour seule prétention d’être une ville musée que les étrangers viendront visiter pour son charme et son patrimoine, un peu comme on va visiter Venise … ?
A Paris, la crainte du "sous-tourisme" après crise succède désormais à celle du "sur-tourisme" avant crise ... Où la membre du Comité interministériel du Tourisme situe-t-elle l’équilibre touristique souhaitable dans la capitale ?
Nous accueillons, chaque année, un nombre record de touristes étrangers. La perspective des Jeux Olympiques que Paris organisera en 2024 ne devrait pas infléchir cette tendance. En se rapprochant de la barre des 100 millions de visiteurs, notre pays demeure la première destination touristique mondiale et Paris regagne du même coup sa place de première destination d’accueil des congrès internationaux. C’est une bonne nouvelle pour l’économie française et pour le secteur du tourisme puisque les dépenses des visiteurs internationaux sont estimées à plus de 55 milliards d’euros par an.
Sénatrice de Paris, je représente la haute assemblée au Conseil interministériel du Tourisme que préside le Premier ministre. Ces bons chiffres sont synonymes d’embauches et de nouveaux investissements, notamment dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration. Nous ne pouvons donc que nous en féliciter et espérer que l’impact négatif du Covid sera très vite estompé.
Même si nous allons devoir gérer encore quelques mois un déficit touristique par rapport à ce que nous attendions, notre pays et Paris doivent anticiper et se prémunir contre les effets négatifs d’un "hyper-tourisme" que nous ne saurions plus maîtriser. Venise, Barcelone, Amsterdam, Dubrovnik … et même le sommet de l’Himalaya, ont offert l’été dernier des images frappantes de l’impact négatif que peut engendrer le tourisme de masse sur les équilibres de vie locale, voire sur le maintien en l’état d’espaces naturels protégés ou de sites historiques exceptionnels (pollution, dégradations, embouteillages, hausse des prix, raréfaction des logements …). Il nous faut donc réagir, anticiper, encadrer si nous ne voulons pas, dans un proche avenir, nous trouver contraints d’interdire. Pour ce faire, de nombreuses pistes s’offrent à nous, de la régulation du phénomène des plateformes de locations touristiques du type Airbnb à la limitation du nombre de cars en circulation ou stationnement en centre-ville. Nous pourrions également envisager une modulation de la taxe de séjour suivant la période de l’année et la situation géographique ou encore la limitation du nombre quotidien de visiteurs sur certains sites emblématiques, avec pré-réservation sur le net et régulation horaire.
Enfin, certaines zones touristiques denses doivent pouvoir envisager la création d’une police touristique. Ces agents seraient facilement identifiables par les touristes, dotés de moyens modernes pour se déplacer rapidement (type Segway) et échanger avec un public international (Tablettes / Traducteurs type Google translation). Ils seraient ainsi en mesure d’orienter le public, voire de verbaliser certains comportements répréhensibles. C’est à ce prix que nous pourrons assurer le respect des équilibres locaux, en même temps qu’un tourisme de meilleure qualité.
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